Après Tapes où nous avons passé une nuit et Cassino où nous avons essuyé un beau plantage du Land, on continue la route du sud en longeant la côte mais par la grosse nationale et non plus par la piste sur la plage! Nous roulons entre des lagunes et la mer.
Nous croisons un panneau sur la route: « campement indigène ». On se demande ce que cela peut être. 500 m plus loin nous voyons des cabanes d'indiens vendant de la vannerie. Plus loin encore sur la même route, autre panneau, autre monde: artisanat gaucho... On ne mélange pas les torchons et les serviettes... Décidément le rapport à l'Histoire antérieure à la colonisation n'a pas l'air simple. C'est assez terrible quand même de zapper de cette façon plusieurs siècles de vie, de culture, de savoirs faires.
Nous décidons de nous arrêter à la station écologique du Taim, entre « La lagoa do Mirim » et la mer, avec l'envie de marcher de nouveau sur de beaux sentiers de randonnées comme à Misiones. L'entrée du parc est magnifique et nous sommes accueillis par les carpinchos, les chevaux et les troupeaux de bovins dans une belle lumière de fin de journée. Malheureusement, nous apprenons que le parc n'est pas visitable car tous les terrains sont privés. Il n'y a pas de sentiers aménagés au public. Nous sommes très déçus et nous nous mettons à la recherche du bivouac du soir. Nous nous installons sur un chemin peu fréquenté. Un motard passe, s'arrête pour nous dire bonsoir et nous propose de dormir dans son estancia. Nous acceptons volontiers et nous nous retrouvons chez Ibir, Daniela et leur fille: Ana Carolini, sur un terrain magnifique en pleine nature, à des kms de la moindre habitation.
La maison est dans une zone humide. Ne me demandez pas pourquoi mais il y a, dans cette partie du globe, énormément de troupeaux de bovins se baladant les pattes dans l'eau. Les marécages voisinant leur demeure sont gavés d'oiseaux en tous genres et nous nous régalons à les observer ou à les voir passer à côté de nous. Il y a également des crocodiles mais nous n'en avons pas croisés.
Autour de la maison, il y a de vieux figuiers sur lesquels se sont installées des orchidées en fleurs. Plusieurs arbres fruitiers nous entourent: avocatiers, goyaviers, orangers, pruniers. Les animaux aussi sont de la partie: truie et porcelets, coqs, poules, cheval (celui avec lequel il s'entraîne pour les concours), une vache et son veau et 5 chiens de gardes qui nous accompagneront pendant tout notre séjour. La maison est dans le pur style gaucho: entourée de terrasses, de plein pied; des moustiquaires partout. Elle est magnifique. Il y a également les quartiers d'Ibir, le gaucho: une grange sur laquelle pendent à certains endroits des peaux de crocodile et de zébu. Le crocodile, c'est pour le folklore mais la peau de zébu sert au façonnage d'objets en cuir... Il paraît que le cuir de zébu est de bien meilleure qualité. C'est bon à savoir! Ibir confectionne lui-même ses lassos, ses lanières et autres outils nécessaires à son travail. L'artisanat gaucho est essentiellement constitué d'objet en cuir. Il passe la plus grande partie de ses journées à cheval. C'est un peu dur à imaginer pour nous qui nous déplaçons qu'en voiture mais oui, il y a encore des gens qui vivent de cette façon! En Amérique du nord on les appelle les cow-boys, ici, ce sont les gauchos. Je pense qu'ils doivent avoir sensiblement le même boulot. Dans sa grange il y a donc également tout ce qui est nécessaire à l'entretien des chevaux. Sans parler des selles, étriers et j'en passe. Je ne connais rien au vocabulaire équestre! Il nous sort tout son attirail avec fierté et nous sommes émerveillés de découvrir un milieu que nous ne connaissions que par les films!
Son travail consiste à s'occuper du troupeau: il y a 1500 têtes sur 2500 hectares. C'est impressionnant de penser que chaque bête à plus d'un hectare mais les terrains sont sur des zones humides, ils ne sont donc pas tous exploitables... Quoiqu'il en soit, il paraît que dans le coin, c'est assez courant comme superficie. Quand on lui disait que 100 hectares en France représentait une grande propriété, il était étonné. Bon c'est vrai que la taille du Brésil n'est pas celle de la France... Il vérifie tous les jours les clôtures; l'état des animaux; il les pique; les vermifuge; les aide à accoucher quand c'est nécessaire... Il a également 14 chevaux et en change chaque semaine. Il n'est pas propriétaire : ni des bêtes, ni des terres, ni de la maison. Par contre, les chevaux lui appartiennent... En fait, il y a de gros propriétaires terriens qui placent des gauchos sur leurs propriétés pour s'en occuper. Il doit y avoir environ 5 gros propriétaires pour toute la région du Rio Grande do Sul (grosse province agricole du sud du Brésil réputée pour être conservatrice...). Une fois par mois, un gérant vient rendre visite à Ibir pour faire le point sur l'état des troupeaux. Les patrons se déplacent très rarement. Les gauchos sont donc des salariés pour la plupart. En Uruguay, c'est la même chose. Ibir aime son travail. Il est fier d'en parler et de nous expliquer toutes ces choses. Quant à nous, nous sommes heureux de l'écouter et de le contempler discuter avec les yeux qui pétillent.
Le soir de notre arrivée, Ibir propose à Yan une chasse au carpincho. Rappelez-vous, nous en avions déjà vu à Ibera: ce sont les plus grands rongeurs du monde. Yan se laisse tenté et se retrouve en pleine nuit brinqueballé sur un tracteur, au milieu des marécages. Il revient tard, dans la nuit, pour me raconter ses péripéties. Le carpincho s'est sauvé dans l'eau avant de mourir et Ibir a du se déshabiller pour aller le rechercher. Il l'a vidé sur place avant de le charger sur le tracteur. Il a fallu attendre le lendemain pour y goûter. Après l'avoir dépecé (les chiens se sont régalés de la peau), suspendu à un arbre du jardin, Ibir nous l'a préparé le soir à la « milanesa », c'est à dire en filets panés à la poele. Ben c'est pas mauvais le rongeur géant! Surtout au coin du feu, dans la grange avec un verre de carpirinha (alcool de canne mélangé à du sucre et du citron vert pressé)...
Au cours de ses 4 jours, nous avons partagé des repas chez lui devant la télé diffusant des films de rodéos et de concours de lasso sur de la musique de gaucho. C'est pas commun et cela nous a fait rire. Ibir participe à des concours de lasso et il nous propose d'aller à une fête gaucho à la fin de la semaine! Il en profite pour nous sortir tout son attirail: des armes en tous genres avec les balles qui vont bien. Bien sûr on n'y connait rien et on lui demande l'utilité de toute cette collection. La sécurité! Il nous confie qu'il a besoin de se protéger car même les campagnes ne sont pas sûres. On a du mal à le croire. Cela dit, ils sont vraiment isolés et même si les armes ne sont pas nécessaires, nous pouvons comprendre qu'ils puissent avoir un peu peur... Juste pour l'anecdote: l'Etat offre 300 reales (ce qui correspond à un peu plus de 100 euros) pour toute personne rapportant une arme. Cette mesure devrait favoriser le désarmement... Ibir ne doit pas être le seul à vouloir se protéger...
Daniela, sa femme, venait juste de se faire poser un appareil dentaire. Elle avait du mal à parler au début car cela lui faisait très mal et on ne l'a pas vue tout de suite. Dès le deuxième jour, nous avons passé pas mal de temps en cuisine à bavarder et j'ai appris de cette façon qu'Ibir et elle allaient se séparer. Elle était très malheureuse, comme on peut s'en douter, et c'était un peu incongru de partager cette intimité avec elle alors que je ne la connaissait pas la veille. En tout cas, elle paraissait heureuse de pouvoir parler et de mon côté, alors que je préparais une espèce de ratatouille tout en l'écoutant, je me sentais un peu comme à la maison! Des filles qui papotent de mecs tout en cuisinant, ça se fait partout dans le monde et c'est plutôt rassurant!
Le matin, au petit déjeuner, nous buvons le lait frais de la vache. On s'attendait à un goût beaucoup plus fort mais ce la se boit bien! En journée, pendant qu'Ibir travaille, nous profitons de la lagoa do Mirim. C'est une immense lagune sur laquelle les filles ont pieds pendant des km. Il fait chaud et cela fait du bien de se chauffer la couenne et de se doucher au soleil! Nous avons pensé à Ben car c'est un super spot de Kite surf et sans doute de planche.
Le jour de notre départ, nous nous réveillons tôt (7h du mat', pour nous c'est l'aube!) pour déposer Daniela et sa fille au bus de 8h30. Nous embarquons Ibir pour nous diriger vers Santa Teresa do Palmar et assister à la fête gaucho. On est dans le monde des cow boys!
Nous quittons Ibir à notre arrivée car il doit retrouver des amis et nous profitons de la fête de notre côté pendant deux jours. Nous mangeons un asado mémorable digne de Gargantua au milieu de cow boys modernes. Ici, tout le monde est en bottes, pantalons à pinces, chapeaux et couteaux à la ceinture. On a l'impression d'être des martiens avec nos cirés et nos déguisements Quechua. Il pleut mais nous avons les yeux écarquillés sur tout ce qui nous entoure: démonstrations de chevaux; foire au bétail; gauchos et surtout le rodeo! Ils sont bien beaux et fiers les gauchos sur leurs chevaux et quand ils tombent dans la boue ils n'oublient pas d'essuyer leur chapeau et leur chemise bien propres.
Nous passons deux nuits dans les parages et essuyons une tempête mémorable sur la plage avant de quitter le Brésil pour commencer l'aventure Uruguayenne... Nous quittons à regrets Ibir et sa famille avec qui nous aurons passé des moments inoubliables. Les reverrons nous un jour? Ibir disait en plaisantant qu'il ne pourrait voyager qu'à cheval...
Octobre 2009 : Santa Victoria do Palmar |
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